PREMIERE LUEUR

Depuis la première lueur du jour, la pluie arrogante n'a cessé de tomber. Et maintenant, dans le château protecteur où cinquante quatre visages se retrouvent, le vase des mots se remplit, dans la voix fleurie d'Ile Eniger :

           «Les mots viennent. Ils disent plus qu'écrire. J'écrirai même si personne ne me lisait.

Ce qui m'importe c'est ma part d'être (…). J'écris de rien, de choses élémentaires, qui relient (…).

Vivre est plus abouti que tout discours. Laisser venir ce qui est. Aujourd'hui c'est la pluie (…).

Il me plaît qu'elle soit ainsi, sans préoccupations. Vivante ».

 

Le vent emporte doucement ce qu'il reste de nos tracas de la journée qui s'achève. L'air amplifie la mélodie réparatrice de la flûte traversière qui obéit au souffle de Frédérique Py.

Plus rien ne peut interrompre le cours des choses.

            «Les bêtes replient leurs pas, les hommes leur arrogance(...). Dans ce pourrissement,

              la gerçure des terres garde ses croyances de graines. Plus fort que la mort quelque chose

              pousse qui ne se voit pas, ne s'entend pas (…) ».

Le silence est épais. Il porte la flûte de Frédérique. Les visages apaisés demandent encore des mots à cette vie qui se répand :

            « Elle a quitté la ville (…) Ses sandales sont usées. Son rêve est dans la poche.

               Elle le touche souvent (…) . C'est une fille loin des foules (…) On dit qu'elle en veut trop.

               On dit. Mais ceux qui disent n'ont jamais regardé le soleil en face. Elle si ».

Voici la porte des remous, la fin du rêve de l'oubli, la rumeur du bonheur :

             « Il fait nuit, la lampe éclaire mon cahier (…) . Tout est dit, rien ne parle. L'amour est en sa maison.

               Je t'envoie ce silence. Sa forme douce quittant le miroir. Aucune lune ne le guide (…) .

               Le ciel en pure perte décline ses brouillards (…). Je suis de cet amour. Démesurée, comme tout jour ».

  

Ile Eniger et Frédérique Py peuvent s'avancer vers le public enivré de mots et de notes.

Vraiment ce fut un bel envol de novembre.

                                                              * * *

Madeleine-Marie Davaine prend la suite. Pour elle « la vie est un voyage, au fil des ans, au fil des âges »

               « Que s'ouvrent les portes » est le passage de relais à Chantal Cudel  et au  jeune guitariste de 12 ans

                   Maxime Andreis. A eux deux, ils nous plongent dans la verve sombre de la chanson  d'Hubert-Félix Thiéfaine

                  (« 4H10 heure d'été »).  Puis « le  grand cèdre » de Jean Berger vient chuter à nos pieds, entraîné

                  par la voix de Chantal Cudel.

C'est le moment choisi par Jackie Raimondi, ajaccienne inspirée et virevoltante , pour nous lire un extrait du roman d'Ile Eniger : « la femme en vol ». Suivent deux poèmes magnifiques de deux femmes corses :

Marie-Paule Lavezzi et Françoise Weber-Zucconi.


Puis les sourires s'invitent, avec le jeune Maxime Tomatis qui du haut de ses neuf ans réinvente « le temps des citrouilles » alors que Myriam Holley, poète et plasticienne nous gratifie d'un texte inédit. Pendant tout ce temps la chaude salle des conférences est décorée de plusieurs de ses tableaux, où graphismes et mots se mêlent dans des délires merveilleux.

Le mot de la fin est pour Marie Gay qui lit un extrait du « cœur des filles », de votre serviteur, où naissent « les soupirs de ton sourire ».

Un ultime morceau de flûte traverse les esprits. La vie suspendue pendant cent minutes reprend son cours.

Vers « La Gabbia » illuminée les convives de poésie dirigent leurs pas, pour prolonger le partage et la fête sereine.

Au loin les suit le regard de feu d'un chien poète et mélomane.

                                                                                                   

 Pierre-Jean Blazy

 

 

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