AINSI VINT LA NUIT
- Par Pierre-Jean BLAZY
- Le 19/10/2015
Le premier vendredi de l'automne finit doucement.
Il nous reste maintenant une soirée à vivre ensemble, dans les murs du Château de Mouans-Sartoux, qui fièrement ouvre ses portes, et voit lentement mais sûrement la salle des conférences s'emplir de visages et de sourires.
Geneviève Bertand, la poète coudoucène, venue de belles terres proches de la cité phocéenne, ne laisse pas tranquilles les esprits:
Ne pas partir
Ne pas fermer le portail qui grince
Rester
accrochée à la falaise
suspendue à h auteur du tilleul
Le soleil comme une deuxième peau
(...)
Est-ce trop?
La beauté me gifle comme une vague à chaque réveil
Vertige
(...)
D'une seule feuille
le tilleul fait basculer l'été
Heure oblique qui fait surgir des reliefs imprévus
Clarté du cœur
de l'âme
du regard
Et il fallait la souple et gracile flûte traversière de Christine Lacombe pour marcher à côté d'elle sur les chemins de petits matins.
Ouvrir
la maison haute
Cueillir
la certitude de la falaise
matrice de soleil et de la lune
Ouvrir le volet chaque matin
dans une lumière de chèvrefeuille
(...)
Je suis là,
indiscrète,
voleuse de bonheur
Dans un frémissement
le tilleul accueille
l'immense
l'immobile
Quatre-vingt douze regards gardent leur être tourné vers les mots qui dansent une valse lente, séparés par la ligne douce des notes de la flûte:
Partir
Laisser un éclat d'âme collé
entre porte et chambranle
Fermer le portail qui grince
Partir
(...)
D'abord vient le cri non crié
Resté silencieux à l'heure de la perte
de la mort
de l'abandon
de l'injustice
du déni
Les souffrances accumulées quittent la grande pièce pleine de musiques. Il y a la force heureuse du partage des fruits de la beauté. Nous vivons une aube claire.
Exil
Il est en exil l'homme
sous un autre ciel
et son désir
comme entravé
son désir
sous le signe de l'eau
quand il réclame le feu
Obscur
son regard
(...)
Jeu d'ombres
et de mémoires
reportées
déjouées
réinventées
Les minutes s'écoulent, hors des désordres du monde
Nous voici passagers d'instants de la vie vraie.
Il est quinze heures
Obus de lumière au ras de l'herbe
Eclaboussure en plein visage
Temps mêlé
Heure d'attente et d'écoute
(...)
Mal au profond des reins
comme à la racine du souffle
Est-ce mal à la vie?
souffrance silencieuse
à l'intérieur des organes
comme un enfantement
Les applaudissements, et tous ces yeux qui disent merci à Geneviève Bertrand et Christine Lacombe sont le signal du passage à vos mots qui s'enhardissent, et viennent se cogner sur les murs épais du Château.
Tour à tour Irène Leneuveu, Myriam Holley,
Maryse Dutouya, Marie-Solange Raymond,
Eva-Maria Berg, Marie-France et Frédéric Dion,
Michel Orion,
David Cardoso,
Louis Champavier,
votre serviteur et
Michèle Freud vont lire, déclamer, chanter, et partager leurs émotions devenues sonorités.
Puis voici le moment tant attendu, où la belle et apaisante soprano antiboise Deborah Bellevy va, par trois fois, nous emmener dans les chambres de la beauté calme et mélodieuse, en complicité d'art avec le magnifique pianiste et chef d'orchestre Patrick Nebbula.
Voilà.
Nous étions des évadés du quotidien, en route vers la contrée où nous voudrions rester.
Ainsi vint la nuit.
Autour du buffet calme et joyeux, où chaque bruit, chaque voix mélangée aux autres, est un appel à revenir.
Pierre-Jean Blazy
Les poèmes de Geneviève Bertrand sont extraits de son recueil "l'impatience du tilleul (éd.de l'Atlantique en 2012), de textes publiés par la revue Filigranes en 2013, et certains sont inédits.