LE CORRIDOR DU TEMPS
- Par Pierre-Jean BLAZY
- Le 02/01/2014
Certains soirs, dans une éclipse crépusculaire, je me vois traverser le corridor du temps pour atteindre dans la douceur de l'ombre vos cœurs bordés de larmes.
« Par où passer quand le monde fait la roue entre torpeur et hypnose dans la nuit du sens ? »
(...)
« Dehors la pluie recoud à grand-peine les roses.
Tout est toujours en ordre en la terre compacte. Et nous restons, à perte de vue, à perte de nom, en suspension. A cause des coups. A cause de tout de qui nous bat le cœur dans le temps disjoint »
Les mots charnus d'Alain Freixe viennent caresser le saxophone de Caterine Naget-Polo, dans une belle hésitation entre le son et le sens.
Nul fantôme, nul arbre de l'oubli dans cette maison des chagrins, mais comme une eau tumultueuse, l'écho de vos regards à l'origine du silence.
« Le grand cyprès noir a éteint ses branches et replié ses feuilles sur son bois. Il est droit. Vertical. Il est seul. Il se tait. »
(...)
« je t'ai vu
dans ce temps de terrier
à hommes
où ce ne sont pas des jours
mais des reflets de jours
qui s'entassent
plient les corps
les replient
jusqu'à les fondre
dans les fractures du sol
quand il cède »
(...)
L'amour est un chagrin joyeux, une recherche perpétuelle du paradis perdu.
« C'est là
que je t'ai vue
avant que tu ne sombres
seules tes mains
couraient entre l'eau
et l'écume
un temps
ton désir
ses flammes ont éclairé
l'eau noire
cela n'a pas duré
le dernier mot
est resté aux pierres
la gravité de leur enfer
t'avait rattrapée »
(...)
Je ne songe qu'à vivre, et quand les colombes disparaissent, je marche avec le diable pieds nus dans la nuit.
« Et nous nous lèverons tôt pour marcher, disais-tu, c'est plus prudent. Tu parlais, depuis le fossé. De l'autre côté de la route. D'un homme. D'une main à retrouver. Tu disais qu'il s'était perdu. Le joueur impénitent.
Tu parlais d'un homme des frontières.
D'un contrebandier. Toujours là où on ne l'attendait pas et absent là où il aurait dû paraître.
Tu parlais d'un maraudeur. D'un fuyard.
Il avait chaussé ses yeux d'une paire de bottes rouges.
Bottes de sept lieues. Et habillé son cœur d'une mort sans cesse remise. »
(...)
Reste l'écume des flammes, l'odeur des dieux enfouis dans l'inconstance de l'espace.
« Au-dessus passait la route.
Il faudra bien un jour prochain que s'arrête la chute.
Parvenir à tenir l'écart.
Et se dresser. Passer les ronces. Prendre appui sur le goudron défoncé, entre les flaques.
Et marcher même si c'est en boitant.
Marcher vers cette soif qui renoue l'eau au corps qui l'aime. »
(...)
« Etrange lumière de quelque chose qui manque et qui pourtant est passé. Passe toujours en inscrivant non le manque mais le passage. Prêter le corps des mots à ce fantôme, un poète le pourrait. »
(...)
« Sur les hauts de La Gardiole, après les paliures et le sang séché à même la peau, le croiriez-vous, il y eut l'oiseau du soir. Eh bien quand l'air porte l'oiseau, quand l'oiseau est sans ailes, croix du ciel, l'air le traverse.
C'est cela que j'ai vu, un oiseau troué d'air. Puis le ciel sans trace. Sans plaie. Sans cicatrice. »
Les amours sont mortels, et comme cet ange noir qui ne ferme jamais les yeux, je ne laisse pas sommeiller l'impérieux désir.
« allumée
ma lampe attend toujours
les longs cheveux de la dame
aux yeux cernés
de tout le noir du monde
aux lèvres rouges de mots jetés aux vents
des fontaines
la dame des jours noirs
où le jour paraît être
la nuit
la nuit le jour »
(...)
Ce moment de veille extrème était une ponctuation du silence,
Et maintenant vos mots descendent sur le Château, rempli de vos cent présences, comme autant de louanges.
Tour à tour Madeleine-Marie Davaine, Philippe Molino, Jackie Raimondi , Pascal Giovanetti , Palou ,
Michèle Freud , David Cardoso, Patrice Alzina et Françoise Lenoir déposent leur offrande aux portes de la nuit qui s'épaissit.
Puis comme un remerciement, comme un espoir vivace surgit de cette poussière brillante de mots, la voix de Johanna Castel surgit, et nous emporte dans la divine compagnie du piano de Christian Segaricci.
« Lascia chio piango » de Haendel et « Les deux amants» de André Messager et Sacha Guitry, nous accompagnent vers les nourritures terrestres.
Vos sourires, ces tisseurs de lumière, nous feront franchir le seuil de la nouvelle année, pour marcher à vos côtés, sur le chemin du poème.
Pierre-Jean Blazy
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